Les recherches de Tom Cobb, professeur au Département de
linguistique et de didactique des langues, ont inspiré les créateurs d'un
nouveau jeu d'Ubisoft.
Photo : François L. Delagrave
«Regardez : il y a le nom de l'UQAM sur le boîtier», m'indique fièrement le professeur Tom Cobb, en me montrant un exemplaire de My Word Coach, un tout nouveau jeu vidéo sorti l'automne dernier chez Ubisoft. Ce sont les recherches en linguistique appliquée que ce professeur du Département de linguistique et de didactique des langues mène depuis plusieurs années qui ont inspiré la conception de ce jeu. Destiné non pas aux enfants mais au grand public, My Word Coach est le premier d'une nouvelle collection de jeux vidéo pédagogiques lancée par l'éditeur pour les consoles Wii et DS (la petite console de poche) de Nintendo.
Cette fructueuse collaboration a bien failli ne pas avoir lieu, car le professeur avait d'abord mis à la corbeille, par mégarde, le premier courriel d'Ubisoft. «Je ne savais pas ce qu'était Ubisoft et je l'avais jeté sans le lire», explique-t-il en riant.
Au départ, la compagnie cherchait un collaborateur scientifique pour l'aider à concevoir un jeu misant sur la vague de popularité des concours d'orthographe. De son côté, Tom Cobb avait mis sur pied, depuis quelques années, un site Internet en rapport avec l'apprentissage de l'anglais langue seconde, Lextutor.ca. L'idée d'un jeu lui trottait déjà dans la tête. «Les concepteurs de jeux vidéo sont des maîtres de l'apprentissage, souligne-t-il. Ils savent par où commencer pour susciter l'intérêt, comment introduire différents niveaux de difficulté et à quelle fréquence pour que le joueur continue à jouer. Je me disais qu'un jeu vidéo conçu pour l'apprentissage de la langue donnerait des résultats formidables. Mais où trouver le financement pour fabriquer un jeu vidéo?»
Si Ubisoft a mis ses ressources et son savoir-faire dans le développement de My Word Coach, l'entreprise a abondamment puisé dans les idées et les recherches proposées par Tom Cobb pour en définir le contenu. «Au début, les gens qui m'ont approché voulaient un jeu axé sur les difficultés de l'orthographe, mentionne le professeur. Mais je les ai convaincus d'élargir leur concept. Au lieu de servir uniquement à apprendre des mots très rares et des bizarreries de la langue, le jeu pourrait permettre à chacun d'améliorer son vocabulaire et son orthographe, en fonction de ses connaissances préalables.»
En tant que spécialiste de la linguistique de corpus, c'est-à-dire la linguistique appliquée à de vastes ensembles de textes, Tom Cobb a développé, au fil des ans, une série d'outils basés sur les banques de mots, qui permettent de classer les mots (en fait, les familles de mots : glisser, glissant, glissement, etc.) selon leur fréquence d'utilisation. «Par exemple, on peut diviser les mots en tranches de 1000 selon qu'ils apparaissent dans la tranche des 1000, 2000 ou 5000 mots les plus utilisés, explique le chercheur. Ainsi, on sait que la plupart des élèves québécois maîtrisent environ 1000 mots en anglais langue seconde. Ce sont les mots les plus courants. À l'autre extrême, les mots qui se retrouvent seulement dans la catégorie des 20 000 mots les plus utilisés appartiennent au vocabulaire spécialisé et sont très rares.»
Pour l'apprentissage, ce classement s'avère extrêmement utile puisqu'il permet de cibler le bon niveau de difficulté pour chaque élève. «Si vous êtes en mesure de déterminer que l'élève maîtrise 20 00 mots, vous ne perdrez pas votre temps à lui enseigner des mots de cette catégorie, note le professeur. Vous n'essaierez pas non plus de lui faire apprendre des mots de la catégorie des 4000 ou 5000 mots les plus utilisés. Avant d'aller plus loin, vous lui fournirez plutôt des exercices l'exposant à des mots se situant dans la fourchette des 3000.»
Le problème, c'est qu'il n'est pas facile, dans une classe de 30 élèves, de procurer un enseignement taillé sur mesure. Avec le jeu vidéo, par contre, les possibilités d'adapter le niveau de difficulté des apprentissages à chaque joueur sont infinies. À travers toutes sortes d'activités conçues pour tester le joueur et développer sa connaissance du vocabulaire et de l'orthographe, c'est ce principe qui est mis en oeuvre dans My Word Coach.
«Les gens d'Ubisoft étaient très ouverts à la recherche scientifique», dit Tom Cobb, qui a contribué à la création du jeu en s'appuyant non seulement sur ses recherches personnelles, mais aussi sur celles de nombreux collègues linguistes. Ainsi, ce sont des recherches menées en Grande-Bretagne qui ont servi à identifier les principales difficultés d'orthographe pour les mots de chaque catégorie.
«On sait qu'on apprend un nouveau mot en y étant exposé dans une variété de contextes et de situations», explique le professeur. Basé sur cette idée, le jeu propose une dizaine d'exercices et d'activités qui mettent en oeuvre des processus cognitifs différents, de façon à améliorer la capacité d'apprentissage. Il offre une progression des niveaux et permet au joueur de corriger ses erreurs, en lui présentant de nouvelles questions jusqu'à ce que chaque difficulté soit maîtrisée. «J'avais déjà développé quelques activités sur mon site web, mais les concepteurs du jeu ont poussé mes idées beaucoup plus loin, dit Tom Cobb. Ce sont des experts en motivation.»
Disponible en anglais, My Word Coach existe aussi en français (Mon coach personnel), en français langue seconde (My French Coach) et en espagnol langue seconde. D'autres versions sont prévues, notamment en néerlandais et en allemand, annonce le professeur, qui travaille actuellement à la mise au point de My Word Coach 2. «Des puristes diront peut-être que je suis un traître parce que je collabore avec l'industrie des jeux vidéo, dit le professeur, mais je crois que ces jeux peuvent vraiment devenir des outils d'apprentissage extraordinaires.» Le chercheur aura bientôt l'occasion de le démontrer : il entame cet hiver une étude de quatre mois sur l'acquisition de vocabulaire avec des élèves en anglais langue seconde de la Rive-Sud.
Source : Journal
L'UQAM, vol. XXXIV, no 8 (7 janvier 2008)